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Tuesday
Mar032015

Enfoirés et Indignés

Pour lancer la tournée 2015 des restos du coeur, les enfoirés sortent un clip où des stars multi-millionaires répondent à des ados inquiets pour leur avenir "à vous de jouer, mais faudrait vous bouger". De façon totalement inattendue et imprévisible, ceci passe très mal. Si la chanson est extrêmement critiquable, la violence et l'unanimité de la réaction ont aussi quelque chose d'interpellant.

Il est choquant que si peu de commentateurs se soient rendus compte que la chanson se moque au moins autant du discours des adultes que de celui des jeunes. Les indices (qui, je l'avoue, m'avaient également échappé à la première écoute) sont pourtant tout sauf subtils : le "Non" asséné en chœur d'un air bovin, le "Je rêve ou tu es en train de fumer?" manifestement hors-sujet, nous montrent des adultes faisant preuve d'une mauvaise foi évidente lorsqu'ils répondent aux inquiétudes des jeunes. Comme l'a depuis précisé Jean-Jacques Goldman, cet aspect caricatural du discours est voulu et essentiel pour comprendre la chanson.

Certes, quand un auteur se voit obligé de s'expliquer a posteriori, c'est que son texte n'était pas très bon. Mais que les critiques aient plongé aussi catégoriquement et avec si peu de discernement pour défendre les jeunes du clip agressés par des propos "complètement réac" n'est pas anodin : c'est le signe d'un désenchantement tragique, d'une conviction profonde que la jeunesse d'aujourd'hui est condamnée, qu'il n'y a plus aucun espoir, et que la nouvelle génération doit aujourd'hui être traitée avec tous les égards et les mines contries que l'on réserve habituellement aux cancéreux en phase terminale.

Pourtant, si la génération aujourd'hui à la retraite a effectivement bénéficié de circonstances particulièrement favorables, il faut rappeler qu'à leur naissance, aux alentours de 1950, un observateur objectif n'aurait probablement pas parié sur eux. Le traumatisme de la deuxième guerre mondiale était encore vif dans les mémoires, et la guerre froide naissante rendait la perspective d'une troisième, bien plus meurtrière, dangereusement réelle. Les grandes puissances menaient par proxy une guerre en Corée, causant en trois ans plus de victimes que toutes les interventions occidentales depuis le 11 septembre 2001 réunies.

L'Europe en ruines n'offrait que peu de réconfort, et bien des acquis sociaux qui nous semblent aujourd'hui évidents étaient encore à gagner : les congés payés, un chômage décent, l'accès universel aux soins de santé, le droit de vivre publiquement son homosexualité et, dans certains pays, le droit au divorce.

S'il est évident que le monde se porte mal en 2015, cela ne doit pas faire oublier qu'il allait encore bien plus mal en 1950, et que certains progrès réalisés depuis sont spectaculaires. En 1950, l'espérance de vie était en-dessous de 50 ans dans la moitié du monde, parfois loin en-dessous (23 ans au Yemen). Aujourd'hui, elle est au-dessus de 60 ans dans presque tous les pays, et seul le Lesotho, avec 48 ans, est encore en-dessous de 50. (www.bit.ly/kEEc5s) La proportion d'êtres humains vivant en état d'extrême pauvreté a été divisée par deux durant les 20 dernières années.

L'Europe occidentale, où vivent les enfoirés, est aujourd'hui bien plus riche qu'en 1950. (Le PIB de la région a été multiplié par 5)Certes, cette richesse est répartie de façon bien moins égalitaire qu'autrefois, et les revenus de la majeure partie de la population n'ont pas significativement changé en vingt ans. Mais ce n'est pas là une tendance inéluctable, seulement le résultat de choix politiques. Et une tendance causée par des choix politiques peut être inversée par d'autres choix politiques.

Justement, il est bien plus facile aujourd'hui pour tout un chacun de prendre part à la chose publique qu'à aucun autre moment de l'histoire. Un mareyeur sénégalais, s'il possède un smartphone, ce qui est probablement le cas, a un meilleur accès à l'information que n'avait le président des États-Unis dans les années 80. Dans les pays dits développés, presque tout le monde peut rendre ses idées accessibles au monde entier, sans dépenser un centime, et sans avoir à convaincre les rédac' chefs du Monde ou du Figaro que ce qu'il écrit mérite d'être publié. Vu qu'on est maintenant quelques dizaines de millions à parler tous en même temps, celui qui s'attend à ce que son premier billet fasse le tour du monde est certain d'être déçu, mais l'accès à la scène médiatique est néanmoins bien plus démocratique qu'il n'a jamais été.

Cette démocratisation ne reste pas confinée dans les blogs et les réseaux sociaux, mais impacte de plus en plus la politique "mainstream". La victoire de Syriza en Grèce, et la montée de Podemos en Espagne, partis qui n'existaient même pas il y a seulement trois ans, sont emblématiques. De façon moins réjouissante mais tout aussi spectaculaire, l'histoire de la N-VA, emmenée par un thésard en histoire sans expérience politique, qui en dix ans a totalement renversé l'échiquier politique Belge, montre qu'il est possible de faire bouger les choses, pour le meilleur ou pour le pire.

Tout cela suggère qu'il est bien trop tôt pour considérer la jeunesse de nos contrées comme une génération sacrifiée que l'on est moralement obligé de noyer sous notre compassion. Car s'indigner de la chanson des enfoirés, c'est aussi nier à cette jeunesse, et à tout le reste de la population, sa capacité à agir pour un monde meilleur.

Les voix qui hurlent contre les "propos réacs" tenus par les enfoirés envers ces jeunes indignés (mea culpa, j'en ai été au premier abord) ont déjà jeté l'éponge : oui, le monde est dans la merde, c'est la faute des baby-boomers, les jeunes vont devoir le subir, et le reste de la population n'a plus qu'à s'excuser avant de mourir.

Ce discours joue, bien inconsciemment, le jeu des conservateurs et des austériens qui veulent convaincre qu'il n'y a pas d'alternative à leur politique. Pourtant, il y en a. Oui, certaines erreurs sont irrécupérables : le changement climatique sera effectivement subi plus que contrôlé dans les décennies à venir. Les mesures que l'on pourrait prendre maintenant n'aideront plus les jeunes d'aujourd'hui, mais au mieux leurs enfants. Mais la plupart des autres maladies qui gangrènent notre système politique et économique n'ont rien d'incurable.

Le tollé autour de cette chanson des enfoirés démontre encore une fois que l'Art, même l'Art commercial un peu crasse qui s'exhibe sur TF1, même l'Art qui se vautre lamentablement et se prend les pieds dans son propre message, reste un puissant révélateur des malaises de la société. Il y a aujourd'hui une forte tendance à accepter le pire comme inéluctable. Mais l'histoire a montré qu'il ne l'est presque jamais.

On ne donnera certainement pas tort aux prognostics les plus funestes en se complaisant dans des excuses envers une jeunesse et une planète déclarées sacrifiées d'avance. Nous avons besoin d'un projet politique, et que tous, jeunes, actifs, retraités (ces derniers ayant aussi des possibilités d'action sur la vie publique inédits dans l'histoire de l'humanité) y participent.

La première étape est de réaliser que ni l'indignation, ni la compassion, ni la culpabilité ne peuvent à elles-seules constituer un projet politique. La deuxième étape est d'agir, et nombreux sont ceux prêts à le faire. À condition qu'on arrête de leur répéter que la partie est perdue d'avance.

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References (2)

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Reader Comments (1)

Trucs vraiment édifiante , garder le bon travail ici .

June 4, 2015 | Unregistered CommenterServicing Stop

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